La propagation alarmante de la maladie du manioc atteint désormais des proportions critiques, représentant une menace imminente pour les communautés tant au Brésil qu’en Guyane. Cette épidémie, identifiée au cours des premiers mois de 2023, a provoqué d’importants dégâts dans les plantations de manioc, piliers essentiels pour l’alimentation et l’identité culturelle.
La maladie du manioc est responsable d’une situation jugée préoccupante dans l’Amapá, au Brésil, où résident les communautés indigènes Karipuna, Palikur-Arukwayene, Galibi Marworno et Galibi Kali’na. Des pertes significatives sont déplorées. Environ 80% des plantations de manioc dans ces zones ont été impactées par la maladie, entraînant une insécurité alimentaire et d’importants défis économiques. Cette situation a contraint de nombreuses familles à adopter des aliments non-traditionnels, tels que le riz et les haricots, provoquant une modification substantielle des habitudes alimentaires et des modes de subsistance.
Le gouvernement de l’État d’Amapá a déclaré l’état d’urgence et a distribué des aliments aux agriculteurs touchés. En Guyane, plusieurs communautés ressentent également les effets néfastes de la maladie du manioc. Panakuh, une association dédiée au soutien agricole, signale d’importantes pertes dans les plantations, impactant la production de farine, un élément vital dans l’alimentation locale.
Une collaboration avec les autorités de l’État d’Amapá est recherchée pour faire face à cette crise. « Le problème de la maladie du manioc est assez récent, que nous avons vu évoluer depuis l’Amapá, jusqu’à l’Oyapock. Je sais que sur le fleuve, nos frères et sœurs, dans les villages, dans les terres indigènes, sont gravement touchés », explique Jacob Jutte, coordinateur de l’association Panakuh.
Des experts pensent que la propagation de cette maladie est associée aux changements climatiques et aux variations du régime des pluies. La Fondation nationale des peuples indigènes (Funai) au Brésil et les autorités françaises en Guyane recherchent des partenariats pour comprendre l’étendue du problème et trouver des solutions durables. Jacob Jutte rapporte que plus de 100 hectares de plantations de manioc ont été détruits dans la région. Il souligne que la maladie a affecté toute la Guyane, s’étendant jusqu’à la frontière à l’ouest et atteignant peut-être le Suriname.
LA PRODUCTION DE FARINE COMPROMISE
Cette propagation a compromis la production de farine, entraînant une diminution de l’offre et une augmentation des prix. Au Brésil, des institutions telles que l’Entreprise brésilienne de recherche agronomique (Embrapa) s’efforcent de trouver des solutions et y vont déjà de leurs hypothèses quant à l’origine de la maladie qui touche les plantations de manioc. Le 2 octobre 2023, à Macapá, au Brésil, s’est tenu un séminaire technique transfrontalier sur ce fléau. Objectif : instaurer un dialogue autour du problème entre les institutions du Brésil et de la Guyane. Lors de l’événement, les autorités brésiliennes ont partagé des idées cruciales et présenté des plans de travail.
L’Embrapa, en collaboration avec le Conseil des peuples indigènes de l’Oiapoque (CCPIO) et d’autres institutions, a lancé un programme complet. De mars à juillet 2023, l’équipe a identifié des agents pathogènes, tels que les champignons Fusarium spp et Colletotrichum spp., soupçonnés de causer une dégénérescence excessive de la maladie du manioc dans les zones indigènes. L’Embrapa a également défini des objectifs spécifiques dans le cadre d’un projet incluant la gestion du programme, le diagnostic des systèmes de production et des ravageurs associés, l’élaboration d’un protocole de bonnes pratiques de production adaptées aux communautés indigènes.
Selon Adilson Lopes, agronome chercheur à l’Embrapa, le projet vise à assurer la sécurité alimentaire des communautés indigènes et à faire face aux soupçons de croissance incontrôlée de la maladie, avec une approche intégrée et adaptée aux conditions locales. Dans ce cadre, l’Agence de Défense et d’Inspection Agricole de l’État d’Amapá (DIAGRO) a initié une série de mesures de restriction à des points stratégiques. Elle a établi le Programme d’État de la Santé de la Culture du Manioc, restreignant le transit de matériel propagatif pendant 60 jours et lançant une série de relevés phytosanitaires.
En août, les équipes de la DIAGRO (Agence de défense et d’inspection agricole de l’État d’Amapá) ont renforcé la surveillance au poste fixe de la PRF (Police fédérale) à Tartarugalzinho, effectuant 630 interventions en août et septembre.
Tiago Cardoso, responsable du noyau de défense de la DIAGRO en Amapá, souligne l’efficacité de ces mesures et l’importance des partenariats stratégiques pour aborder cette question critique dans la culture du manioc dans les deux pays. L’événement a également permis de mettre en avant la collaboration importante entre le Brésil et la Guyane pour lutter contre la menace pesant sur les plantations de manioc. La recherche conjointe, soulignée par des experts comme Margot Llamas du Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD), met l’accent sur l’identification du vecteur et la recherche de variétés plus résistantes.
« Nous rencontrons la même problématique en Guyane. Comme nous sommes voisins, le matériel végétal traverse la frontière, les communautés sont très proches les unes des autres », explique la chercheuse. Llamas affirme également que l’objectif initial est d’obtenir une réponse rapide en termes de multiplication par bouturage. Et ainsi d’apporter des boutures saines pour la replantation.
Une plantation de manioc à Saint-Georges de l’Oyapock. @Association Panakuh
À long terme, les autorités cherchent à créer une collection de plantes de manioc et à valoriser les matériaux végétaux pour les préserver, car des problèmes similaires peuvent réapparaître en raison de parasites ou du changement climatique. Llamas souligne les défis liés au climat, avec des précipitations 30 % supérieures à la normale en Amapá et en Guyane, influençant les cultures traditionnelles. Ici réside une partie de l’ampleur du problème dans toute la Guyane, avec des difficultés à fournir des recommandations claires sans un diagnostic officiel.
LA CTG EN ATTENTE D’UN DIAGNOSTIC
Le séminaire a également été marqué par la présence de Jeremy Lecaille, responsable des services agricoles de la Collectivité Territoriale de la Guyane (CTG), qui a souligné l’importance de la coopération internationale. « C’est une problématique qui n’a été clairement identifiée qu’à la fin de 2022, et pour le moment, nous demandons au CIRAD, qui est notre organisme de recherche national spécialisé dans ce domaine, de travailler sur la question, afin d’identifier les raisons. Il est toujours compliqué de trouver des solutions si nous n’identifions pas les raisons », explique Lecaille. Ce dernier affirme que la CTG attend toujours un diagnostic de la recherche. En attendant, des réunions avec les autorités et les chercheurs brésiliens ont eu lieu afin de créer une véritable synergie autour de cette problématique du manioc, entre la Guyane et le Brésil.
Concernant les actions concrètes, Lecaille explique que « tout d’abord, sans attendre le déblocage des fonds européens pour un projet de coopération, car ce sont des choses qui se construisent et qui prennent du temps, nous cherchons la coopération entre les pays touchés. Nous avons mobilisé divers professionnels pour une étude plus approfondie et efficace ». Il confirme l’engagement de la CTG à débloquer des financements sur fonds propres, afin de pouvoir fournir une réponse locale en termes d’alimentation et de matériel agricole.
Lecaille attire l’attention sur le Suriname, où, selon lui, des signes de la maladie existent déjà dans les plantations. « Lors de réunions techniques sur le sujet, l’information donnée était qu’il y aurait probablement des cas confirmés au Suriname, ce qui n’est pas surprenant ».
Dans ce contexte critique, la collaboration entre le Brésil et la Guyane française émerge comme une réponse essentielle. Face aux pertes significatives dans les plantations de manioc, en particulier dans les communautés indigènes, la recherche de solutions adaptées et immédiates est pressante. Sans diagnostic officiel de la part des autorités françaises, l’incertitude persiste, mais les actions conjointes sont fondamentales pour tenter de lutter contre ce fléau qui affecte la vie de milliers de personnes en Guyane et au Brésil.
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